Wuhan, ville close

Wuhan, ville close

« Une poussière de l’Histoire vous tombe sur la tête et c’est une montagne qui s’abat sur vous ». Selon Fang Fang, c'est cette phrase qui a été le plus largement partagée par les habitants de Wuhan pendant leur confinement de 62 jours à compter de janvier 2020.

L’écrivaine, qui a grandi dans cette ville, raconte le quotidien de ses 9 millions d’habitants isolés du reste du monde à cause de la propagation du Covid19. On peut y entrer – notamment les volontaires issus des autres provinces – mais plus en sortir. Grâce à ses relations dans tous les milieux et notamment des médecins, des universitaires ou des écrivains, Fang Fang a accès à des informations de première main qu’elle décide de partager au jour le jour sur internet. Face à l’impuissance et la tristesse, dit-elle, « la seule chose que l’on puisse faire, c’est consigner les faits. » (p.40). Le succès de ses billets est croissant et à elle seule, elle réussit quatre défis : raconter ce qui se passe depuis l’intérieur, rendre hommage aux oubliés de ce confinement mais surtout dénoncer les coupables de la crise… ce qui implique de braver la censure.

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« Une poussière de l’Histoire vous tombe sur la tête et c’est une montagne qui s’abat sur vous ». Selon Fang Fang, c’est cette phrase qui a été le plus largement partagée par les habitants de Wuhan pendant leur confinement de 62 jours à compter de janvier 2020.

L’écrivaine, qui a grandi dans cette ville, raconte le quotidien de ses 9 millions d’habitants isolés du reste du monde avant la propagation du Covid19. On peut y entrer – notamment les volontaires issus des autres provinces – mais plus en sortir. Grâce à ses relations dans tous les milieux et notamment des médecins, des universitaires ou des écrivains, Fang Fang a accès à des informations de première main qu’elle décide de partager au jour le jour sur internet. Face à l’impuissance et la tristesse, dit-elle, « la seule chose que l’on puisse faire, c’est consigner les faits. » (p.40). Le succès de ses billets est croissant et à elle seule, elle réussit quatre défis : raconter ce qui se passe depuis l’intérieur, rendre hommage aux oubliés de ce confinement mais surtout dénoncer les coupables de la crise… ce qui implique de braver la censure.

Lorsqu’elle reçoit des recommandations médicales, elle les relaie aussitôt, ainsi le conseil d’un ami médecin : « tant que, de notre côté, nous n’aurons pas quitté nos tenues de protection, restez chez vous, ne sortez pas, ou nous aurons risqué nos vies pour rien. » Personne ne peut imaginer, dit Fang Fang, ce que traverse la population de Wuhan : « Je ne crois pas qu’il soit possible aux personnes qui sont ailleurs en Chine d’imaginer la pression indicible que ressentent les gens de Wuhan. Aucune parole ne sera jamais assez forte pour louer le sens du sacrifice des Wuhanais durant cette épidémie. Nous continuons de tenir, et comme toujours, nous nous conformons aux instructions des autorités. » (p.201)

Face au choc de la rapidité des contaminations et à la tristesse des annonces de décès qui leur parviennent, les vivants, qu’elle appelle des « êtres-vers-la-mort », n’ont d’autre choix que d’aller de l’avant (p. 130-131). Et parmi la consolation que les habitants trouvent, il y a le partage de bons mots. Fang Fang rapporte avoir bien ri lorsqu’un internaute s’est moqué des habitants d’une ville voisine car ils n’obtiendraient, selon lui, leur autorisation de circuler que s’ils réussissent à résoudre des problèmes de mathématique de niveau 5e, ce dont la plupart seraient incapables. « J’espère vraiment que tous ces humoristes vont vite retrouver toute leur vivacité, de sorte que les Wuhanais, enfermés dans leur ville depuis plus de vingt jours, ne puissent s’empêcher d’éclater de rire à la lecture de leurs dernières trouvailles, avant de se les transmettre entre amis » (p. 133), écrit-elle.

Dans un registre plus sérieux, l’écrivaine n’hésite pas à dénoncer publiquement les carences d’une administration qui a tardé avant de décréter la quarantaine – dans la précipitation et sans préparation –, raconte-t-elle. À l’opposé, elle salue les simples citoyens qui se sont mobilisés, dont les jeunes en première ligne. Pour elle, « il faut ici remercier les innombrables volontaires qui se sont manifestés, ces jeunes sont vraiment extraordinaires. Ce sont eux qui, repérant les trous et les fissures, les ont comblés. Par exemple Wang Yong, qui a organisé les déplacements entre leur domicile et leur lieu de travail des soignants du district de Jinyintan ; Wu You qui a livré des médicaments à plus de six cents habitants de la ville pendant un mois, avant d’être injustement accusé d’en tirer profit (…). Les autorités devraient vraiment exprimer leurs remerciements à tous ces volontaires qui se sont présentés à point nommé pour aider à colmater les fuites. Sans eux, qui sait combien d’autres terribles épreuves Wuhan aurait eu à endurer ? » (p. 222-223).

Elle raconte aussi la solidarité en provenance des autres régions du pays : « (…) des « légumes de l’amitié » offerts par les autres provinces aux habitants de Wuhan, avaient été déposés devant ma porte. Je me suis précipitée et j’ai découvert deux gros sacs remplis de choux chinois, très frais et très beaux. Je ne sais pas qui m’en a fait cadeau mais ce sont exactement les légumes dont j’avais besoin. » Malheureusement, la médaille a son revers, celui de vidéos révélant ces dons jetés dans des décharges ou interceptés avant d’arriver ou ces vidéos de Wuhanais furieux du prix exorbitant des légumes proposés dans les achats groupés.

Quant aux soignants, Fang Fang explique qu’ils ont « représenté une sorte de rempart humain contre le virus. Il aura fallu attendre qu’ils soient contaminés et commencent à tomber les uns après les autres pour que les gens (y compris les responsables politiques) se réveillent de la torpeur indifférente dans laquelle ils étaient plongés, et réalisent à quel point ce nouveau virus était terrible. Seulement il était déjà trop tard. » (p.227-228).

Autres oubliés de cette crise : les policiers qui ne se sont « pas reposés un seul jour. (…) ils doivent s’assurer que les véhicules qui circulent y sont bien autorisés. Beaucoup d’agents de police se chargent par ailleurs de transporter des malades quand le personnel des hôpitaux est débordé. ». Quant à certains travailleurs extérieurs bloqués dans la ville confinée, elle raconte qu’ils « ont fini par dormir dans les gares. D’autres sont réduits à faire les poubelles, se nourrissant de ce que les autres jettent. » (p.192). Mais pendant tout ce temps-là, ceux qui ont symbolisé la stabilité ont été les agents de propreté qui ont continué chaque jour à balayer les rues vides et calmes de la ville. Fang Fang dit d’eux qu’« ils sont si discrets qu’ils en sont presque invisibles mais ce sont eux qui apaisent le plus profondément le cœur de notre ville. » (p.87).

C’est avec les cadres et les bureaucrates que Fang Fang est la plus sévère : « leur propension à se soustraire à leurs responsabilités est sans égale. Sans cela, comment cette épidémie serait-elle devenue la catastrophe qu’elle est aujourd’hui ? (…) Il n’est pas concevable que certains n’aient pas menti. Nous devons déterminer qui a menti et pourquoi. »» (p.192-193). Plus loin, elle fustige ceux qui ont osé demander à la population de la gratitude envers le Parti et le pays : « c’est une manière bien étrange de voir les choses. Le gouvernement est le gouvernement du peuple ; s’il existe, c’est pour servir le peuple. Les fonctionnaires sont les serviteurs du peuple, et non l’inverse. Je ne comprends pas comment tous ces dirigeants qui passent leur temps à étudier les grandes théories politiques ont pu en arriver à inverser ainsi les choses. » (p.252-253).

L’écrivaine va plus loin en soutenant publiquement les journalistes qui enquêtent sur les responsabilités dans la gestion de l’épidémie. Provoquée de front, la censure organise alors des raids contre elle sur les réseaux sociaux. À propos de l’alerte lancée par la directrice des urgences de l’hôpital central sur le nouveau coronavirus, elle déclare : « dans cette course à qui effacera ou transmettra le plus vite, conserver cet article est devenu une mission sacrée. Ce sentiment d’accomplir quelque chose de sacré semble presque venir d’une injonction subconsciente : protéger ce texte, c’est nous protéger nous-mêmes. Maintenant que les choses en sont là, chers modérateurs, pensez-vous vraiment que vous allez arriver à tout effacer ? » (p284). Fang Fang clôt son journal non sans ironie : « sans ces attaques, indolente comme je le suis, je n’aurais jamais entrepris ce travail, ou alors avec dilettantisme, un jour sur deux, mais je n’aurais pas écrit autant. » (p.382)

 

Le témoignage de Fang Fang est un document précieux, révélateur d’un tournant de notre époque. Quelle civilisation avancée de notre temps aurait en effet imaginé un confinement radical comme Wuhan l’a connu avant d’autres régions du monde lorsque l’épidémie s’est propagée ? Aucune.
Ainsi, selon l’écrivaine « la véritable mesure du niveau de civilisation d’un pays n’a jamais été la hauteur de ses gratte-ciel ou la vitesse de ses voitures, ni même la puissance de son armement ou la force de son armée, pas plus d’ailleurs sa technologie ou ses réalisations artistiques, encore moins le faste de ses réunions officielles, la splendeur de ses feux d’artifice, ni même le nombre de ses touristes qui voyagent à travers le monde en s’offrant les produits de luxe les plus coûteux. Un seul critère suffit : son attitude envers les plus vulnérables ». (p.178)

 

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